Le regard aigu de Christine Angot sur le milieu de l’art contemporain ne manque pas d’intérêt. Mais dans cette nuit – tôt interrompue – passée en compagnie de sa fille Léonore à la Bourse de Commerce, elle voit surtout l’occasion de faire un retour sur son histoire personnelle, de femme et d’écrivain.

On connaît le principe de la collection « Ma nuit au musée » lancée en 2018 par Alina Gurdiel et les éditions Stock : un écrivain est invité à passer une nuit seul dans le musée de son choix puis à mettre des mots sur son tête à tête avec les œuvres Lorsque Christine Angot décide, après quelques hésitations, d’accepter cette proposition, c’est la Bourse de Commerce qu’elle choisit pour passer cette nuit très particulière. Proche de chez elle, la Bourse de Commerce est le lieu où François Pinault a installé depuis quelques années sa collection d’art contemporain et où tous les artistes rêvent d’ être exposés « parce que ça fait monter leur cote »… Un lieu de pouvoir, nous dit Christine Angot, et c’est le pouvoir qui l’obsède. Mais – et comment aurait-il pu en être autrement ? – l’écrivain va détourner les règles du jeu. Redoutant de passer une nuit dans un endroit inconnu, elle demandera à être accompagnée par sa fille Léonore, plus sensible à l’art qu’elle ne l’est elle-même. Mais cet aménagement ne suffira pas à lui donner envie de s’attarder chez Pinault et à 1h 15, mère et fille quitteront les lieux…
Mieux valait, en ouvrant La Nuit sur commande, ne pas s’attendre à découvrir la « Pinault Collection » à travers le regard de Christine Angot. Non seulement l’écrivain et sa fille ne passeront que quelques heures dans le musée mais celles-ci seront essentiellement consacrées à profiter du restaurant où elle a demandé qu’une table leur soit réservée. Pour le reste – qui semble presque accessoire – tandis que Léonore partira en « éclaireuse » – pour finalement n’éclairer personne- à travers différentes salles du musée, Christine Angot, elle, s’installera paisiblement devant son ordinateur… En effet, assez indifférente à ce qui l’entoure, c’est vers elle-même que, sans surprise, elle se tourne : « Le projet de Nuit au musée m’était apparu au début comme une petite bulle, qui pouvait être légère, facile, mais dans laquelle s’étaient engouffrées toutes les routes que j’avais prises toutes ces années, et ce que représentait l’écriture dans ma vie. » C’est ainsi que La nuit sur commande devient un retour sur son histoire : son parcours professionnel, social, amoureux, amical… que tout ramène à l’inceste subi, des années durant, dans sa jeunesse.
« Mon titre, La Nuit sur commande, je l’ai trouvé tout de suite. Il établissait un tel lien entre la commande éditoriale de passer une nuit au musée et la commande sexuelle à laquelle je pouvais être confrontée à tout moment de la nuit entre mes 13 ans et mes 16 ans. » Christine Angot s’attache en effet tout au long de son livre à établir un parallèle entre l’art contemporain et le père, tous deux symboles de pouvoir. Que retenir du regard que porte Christine Angot sur l’art contemporain? S’intéressant visiblement peu aux œuvres elles-mêmes, c’est avant tout un milieu qu’elle peint non sans talent, celui qu’elle connaît bien pour l’avoir beaucoup fréquenté lorsqu’arrivant à Paris, elle devint la « favorite » de Sophie Calle. Nous entraînant dans un tourbillon d’anecdotes où apparaissent tous les grands noms de la scène artistique de l’époque, elle décrit un monde corrompu par l’argent et la soif de pouvoir où triomphent intérêts, jalousies et amitiés feintes….Un monde où, rapidement, elle ne se sentira pas à sa place. Pas plus qu’elle ne s’y sent cette nuit-là dans la Bourse de Commerce. Pourquoi pas, mais quitte à la voir détourner les codes de la collection, on aurait aimé que ce soit pour du plus neuf.
Anne Randon